Henry Clews, Jr. était un artiste né aux États-Unis dont la carrière créative s’est développée en
France. Pourtant né dans une famille aisée, dotée de contacts dans la haute société et établie à Wall Street, sa vie était destinée à être dédiée à la création et à la réussite artistique.
Henry est né en 1874, fils d’un banquier de Wall Street. Il était un jeune garçon rebelle, brillant mais pas vraiment enclin à la réussite académique. Même si les études n’étaient pas le fort du jeune Henry, il fut d’abord destiné à suivre les traces de son père en entamant lui aussi une carrière à Wall Street. Voyant son intérêt pour l’art découragé par son père, Henry s’est finalement retrouvé à Wall Street, respectant ainsi le souhait paternel. Malgré sa réussite, Henry ne s’épanouissait pas dans cette culture carré et autoritaire, et mit fin à sa carrière après une légère chute du marché.
Après avoir quitté la carrière qu’il haïssait, Henry se plongea avec conviction dans la poursuite d’une carrière artistique. Il travailla avec acharnement pour apprendre la peinture en auto-didacte, d’abord dans un atelier établi dans son appartement, puis dans un atelier personnel à New-York, et enfin à Paris. Il passa également beaucoup de temps à Newport, à Rhode Island, où il recontra sa première femme, Louise Morris Gebhard. Henry et Louise se marient en 1901, et s’installent à Paris, où ils eurent deux enfants, Henry Clews III et Louise.
Une fois à Paris, Henry résiste à la vague grandissante du Modernisme, tandis que les premières oeuvres Fauves et Cubistes gagnent en popularité autour de lui. En 1909, il commence à visiter régulièrement l’atelier d’Auguste Rodin. L’influence de l’artiste sur Henry est visible dans une grande partie de ses travaux, notamment ceux sur lesquels on peut observer des surfaces laissées brutes ou rugueuses, et dans ses travaux sur les effets de la vieillesse. Henry s’épanouit entouré d’une communauté d’artistes et d’écrivains à Paris, mais son emploi du temps arnarchique et ses fréquentations douteuses ne sont pas au goût de Louise. Le couple divorce en 1910, et Henry rentre alors à New York.
Henry rencontra sa future femme, Elise Whelen Goelet en 1910. Déjà mariée à l’époque à Robert Goelet, son couple n’est pas des plus heureux. Henry et Elsie se rapprochent grâce à leur intérêt commun pour l’art, intérêt souvent étouffé dans le mariage d’Elsie et dans la société de l’époque. La créativité et l’imagination d’Henry fascinent Elsie ; elle décrira plus tard dans ses Mémoires qu’elle était “ensorcellée”. Malgré ses appréhensions à l’idée de quitter la vie à laquelle elle était habituée, Elsie divorce de Robert. Quelques temps plus tard, Henry et Elsie (rebaptisée Marie par Henry) se marient le 19 Décembre 1914, dans une union décrite par la mère d’Henry comme “insensée”. Le couple quitte rapidement les États-Unis pour s’installer ensemble à Paris.
Le couple d’artistes s’épanouit à Paris. Henry travaille sur ses sculptures tandis que Marie donne libre cours à son amour de la musique. Cependant, la vie à Paris devient rapidement difficile avec les débuts de la Première Guerre Mondiale, et leur premier enfant, Mancha Madison, tombe malade juste après sa naissance. La santé fragile de leur fils, ainsi que les raids aériens trop fréquents, forcent le couple à quitter Paris pour la Méditerrannée, où ils découvrent les ruines laissées à l’abandon du Château de La Napoule.
Après y avoir passé un été, ils achètent la propriété et y emménagent pour de bon en 1919. Marie dirige la construction d’un atelier pour Henry du côté ouest des jardins, lui offrant de grands espaces ainsi qu’une belle luminosité orientée au Nord.
Ce qui fut d’abord un ajustement minimal pour rendre le Château plus confortable devient rapidement un projet à très grande échelle. Henry et Marie, deviennent tous deux bouleversés par la magie des vieux murs, et, comme le décrira Marie, ils “libèrent l’esprit créatif à La Napoule”. Ensemble, ils travaillent sans interruption pendant près de vingt ans, occupant la cour avec des pierres, des sculptures, et une douzaine de tailleurs de pierres venus d’Italie. En plus de l’atelier, le couple ajoute un corps de garde, une salle à manger gothique, des remparts et des terrasses surplombant la mer, et un mur tout autour de la cour. Marie prend un rôle d’architecte tandis qu’Henry couvre toutes les surfaces intérieures et extérieures de créatures mystiques tout droit sorties de sa propre imagination.
Marie ayant pris le rôle d’architecte et Henry d’artiste, l’immense atelier du couple transforme définitivement la propriété, en y ajoutant également un cloître gothique, aux colonnes surmontées de sculptures d’Henry.
Henry transforme le Château de La Napoule en territoire fantastique, inspiré par “les grotesqueries des sculpteurs Romanesques”. Il sculpte les modèles en plâtre de ces créatures qu’il imagine – d’étranges animaux qu’il appelle des ogs, wogs, imps, et glicks – et une équipe de tailleurs et de sculpteurs travaillent à partir de ses modèles.
Depuis les colonnes principales jusqu’aux recoins architecturaux, tout le Château se voit rempli des “habitants d’un monde imaginaire, symbolisant ou parodiant ceux qu’il avait laissé derrière lui, et représentant à travers ce microcosme sa vision de l’univers et de l’humanité”. Le tempérament rebelle d’Henry – qui échappe aux attentes familiales et les dénonce même – apparaît clairement dans ses travaux. Cet aspect satirique est aussi visible dans ses écrits, notamment la pièce Mumbo-Jumbo (publiée en 1922) et Dinkelspieliana, un manuscrit jamais publié daté du début des années 30. Ces deux pièces critiquent la société américaine, la démocratie, et l’art moderne.
Les travaux d’Henry “peuvent être divisés en trois catégories : les représentations réalistes, les inventions oniriques, et le satire mordant.” Ses nombreuses sculptures-portraits sont des exemples de son travail sur le réalisme, comme l’est par exemple le buste du Comte Gautier Vignal, réalisé en 1933. Les créatures oniriques qu’Henry invente et qui peuplent le Château de La Napoule sont produites dans une variété de matériaux, entre autres le bronze, le bois, et le porphyre. Ses sculptures satiriques, caricatures de la richesse et de la vanité, reflètent sa vision du monde personnelle : son dégoût pour le monde trop guidé par l’argent qu’il a laissé derrière lui, et sa colère envers un monde de plus en plus moderne et déshumanisé.
La sculpture la plus célèbre d’Henry, Le Dieu des Humormystics, fut installée dans la cour du Château en 1921. Accueillant toujours les visiteurs à ce jour, cette sculpture inspirée du travail de Rodin incarne la vision artistique d’Henry, dénoncant le matérialisme et offrant une beauté inspiré du divin à celles et ceux qui explorent le Château de La Napoule.
Durant ses dernières années, Henry écrivit :
“Alors que des villas de bétons, des bungalows –
Pour les bourgeois d’aujourd’hui prennent le noms de “beaux châteaux”
Est-ce présomptueux de ma part
Moi, un artisan de l’art
D’appeler notre foyer, ‘l’atelier’ ?”
Le Château de La Napoule est véritablement devenu un centre pour les arts – un lieu de création constante, d’activité, et d’inspiration – le foyer et l’atelier rassemblés. Le conte de fée qu’Henry a créé est représenté par les mots qu’il a gravé au-dessus de l’entrée : “Once Upon A Time” – “Il Était Une Fois.”
Henry Clews s’éteignit en 1937, mais Marie s’assura son héritage artistique perdure. Immédiatement après sa mort, elle fit en sorte qu’une exposition de ses sculptures soit montrée au Metropolitan Museum of Art (New-York). L’exposition de ses bustes sculptés, si expressifs, ouvrit ses portes en 1939, ses oeuvres se voyant ainsi exposées aux États-Unis pour la première fois depuis 1914. De nos jours, l’oeuvre d’Henry peut être explorée au musée et sur le domaine du Château de La Napoule.
Mirth, Myth and Mystery (Gaieté, Mythe et Mystère) sont les mots gravés par Henry Clews au-dessus des portes du Château de La Napoule. Insatisfait par la vie traditionnelle que sa famille et la société avaient imaginé pour lui, Henry s’est défait des attentes qui pesaient sur lui, et à la place, s’est réinventé en tant qu’artiste, écrivain, et designer du monde créatif qu’il désirait.